La possibilité de téléphoner à travers l’Internet est restée longtemps du domaine du fantasme inaccessible, tout comme la fameuse « vidéo à la demande ». Mais, progressivement, les choses changent et les exemples d’utilisations réels sont désormais de plus en plus nombreux. Est-ce là le début d’une nouvelle vague d’applications de type « voix » sur le net ? La voix sur le Net ne va sans doute pas aller jusqu’à révolutionner complètement l’industrie du téléphone, mais influencer en profondeur son futur proche, ça oui !
La téléphonie sur le Net (ou VoIP pour voice over IP, c’est-à-dire la « voix au-dessus d’IP ») est désormais sortie du domaine de l’expérimentation. La retransmission est souvent d’une telle qualité qu’on aurait presque du mal à la distinguer d’une communication qui passe par les liaisons habituelles. Pour s’en assurer, nous avons testé le logiciel proposé par Net2Phone (un des pionniers du domaine) qui permet depuis un PC d’appeler un correspondant sur une ligne téléphonique classique. Le logiciel n’est pas un modèle d’ergonomie mais le résultat est surprenant : le son est très bon du côté de l’appelant, avec un peu de bruit de fond du côté de l’appelé, le full-duplex (la possibilité de parler tous les deux en même temps) n’est pas complètement supporté mais quand même, ça marche ! Un pionnier comme Net2Phone a finalement réussi à faire fonctionner sa solution dans de bonnes conditions (pour peu qu’on soit équipé d’une ligne ADSL).
La nouveauté du moment vient des tous nouveaux entrants comme Skype bien décidé à bouleverser ce marché en forte croissance.
Skype est une création de Niklas Zennstrom et Janus Friis, les deux créateurs du fameux Kazaa (logiciel de partage de fichiers en P2P) qui donne des cauchemards à l’industrie du disque… Skype reprend le principe du P2P mais pour partager la voix sur le Net. Le logiciel (actuellement encore en béta et qui ne fonctionne que sur Windows XP ou 2000) est très simple d’utilisation et marche déjà remarquablement bien : ici la qualité du son est vraiment bonne. Par le biais du bouche à oreille (encore une démonstration du marketing viral, si puissant sur le Net), Skype se répand comme une trainée de poudre, encore plus vite que Kazaa à ses débuts.
Oui, décidément, le secteur de la voix sur IP est en pleine effervescence !
Les grandes organisations aux Etats Unis s’en sont aperçues et les exemples de remplacement de systèmes de téléphonie classiques par leur équivalent Internet se multiplient. Quels sont les avantages promis par les systèmes de type VoIP ? Tout d’abord, le coût. Même à l’achat, les systèmes de téléphonie basés sur IP sont devenus moins chers que les systèmes traditionnels : une société d’une centaine d’employés va dépenser $600 par téléphone pour un PBX alors que cela lui en coûtera $500 par poste pour un système VoIP.
L’économie se situe aussi au niveau de la maintenance, possible à effectuer à travers le réseau dans le cas d’un système VoIP alors qu’il faut intervenir au niveau de chaque PABX la plupart du temps avec les systèmes traditionnels. L’autre grand avantage réside dans la souplesse offerte par les systèmes VoIP : le numéro d’appel n’est plus lié à un poste physique mais peut être attribué dynamiquement à différents types d’appareils (combiné traditionnel, mobile ou PC) et à différents endroits en fonction du contexte ou des choix de l’utilisateur. Les systèmes VoIP offrent également des fonctions inédites telle que la possibilité d’envoyer un appel d’urgence à l’ensemble des utilisateurs d’un réseau donné (une fonction considérée comme importante aux USA depuis l’attentat du 11 septembre 2001).
D’après In-Stat/MDR (une société d’éudes) le mouvement est en marche et prend de l’ampleur : si seulement 2 % des entreprises américaines avaient adopté un système VoIP à fin 2002, elles devraient être 20 % d’ici 2007. C’est cette année, en 2003, que les exemples spectaculaires ont commencé à vraiment émerger. Le Département du Commerce américain vient de remplacer 132 systèmes traditionnels par un système de type VoIP. Celui-ci équipe déjà 25 % de ses 40 000 employés. Le réseau des banques SouthTrust a presque fini de faire basculer ses 700 agences sur un système VoIP et annonce des économies de $5 millions par an (la migration a débuté il y a 3 ans). La compagnie aérienne JetBlue utilise la souplesse de son système VoIP pour router les appels au call-center vers des télé-opérateurs qui travaillent à domicile. Frankie Littleford, le vice president de JetBlue pour les réservations annonce que le système VoIP en place allait traiter 9.6 millions d’appels en 2003. Un autre exemple encore plus significatif par sa portée symbolique nous est donné par l’association de l’industrie des télécommunications (The Telecommunications Industry Association, qui est basée à Arlington) qui vient de remplacer son PBX vieux de dix ans par un système VoIP tout neuf. Et pourtant cette association représente les équipementiers de l’industrie du téléphone !
Principal bénéficaire de cette tendance : Cisco. D’après un porte-parole de cette société, les produits Cisco de VoIP ont remplacé au moins 2000 PBX en 2002 et ce nombre va plus que doubler en 2003. Charles Giancarlo, responsable du développement des produits chez Cisco annonce que sa société remplace plus de 5000 téléphones traditionnels chaque jour par des systèmes basés sur VoIP. À côté de Cisco, Avaya, Alcatel, Mitel, Nortel, Siemens et 3Com produisent eux aussi des équipements pour les systèmes VoIP. Cisco prévoit que ce marché va atteindre $15 Milliards dans les quatre ans. Même si on estime qu’au moins 30 % des appels professionnels ont lieu à l’intérieur d’une même structure (et cela fait déjà 30 % d’économisé sur la facture téléphonique), il reste quand même une bonne part des communications qui a besoin du réseau public. Il n’est donc pas encore possible de se passer complètement des opérateurs téléphoniques classiques. Les appels transitants par des systèmes VoIP doivent toujours emprunter le réseau public au moins pour une partie de l’appel (les appels sortants vers des abonnés non-équipés de systèmes VoIP par exemple).
De plus, même si les telcos ont investi des milliards de dollars dans les technologies téléphoniques traditionnelles, il est plus que probable qu’ils vont également également aller en direction des services de téléphonies sur Internet. En attendant de pouvoir se battre sur le même terrain que les nouveaux entrants, les telcos contre-attaquent sur le plan juridique en mettant des bâtons dans les roues de leurs challengers (tels que Vonage, Net2Phone, deltathree et Packet8)… C’est ainsi que Verizon (un des gros opérateurs américain) vient de demander à la commission fédérale des communications (The Federal Communications Commission ou FCC, l’organisme régulateur des télécoms aux USA) que les fournisseurs de services VoIP soient soumis aux mêmes régles et aux mêmes contraintes que subissent les opérateurs de téléphones. C’est-à-dire, l’obligation d’avoir une licence (et les coûts qui vont avec) et de supporter les services habituels tel que le numéro d’urgence 911. Mais déjà, les abonnés américains à des services de téléphonies IP viennent d’atteindre les 2,5 millions. Et, In-Stat/MDR prévoit que 7 millions de téléphones de type VoIP seront en circulation en 2007. La bataille pour le marché américain ne vient que de commencer et elle sera féroce… avant de toucher l’Europe !
Justement l’Europe et plus particulièrement la France, où en est-t-elle dans ce domaine ?
C’est le fournisseur d’accès Free qui a ouvert le bal du marché de la voix sur IP grâce au dégroupage… Le dégroupage ne permet pas seulement aux opérateurs téléphoniques de venir tenter leur chance sur ce marché prometteur : les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) semblent également vouloir prendre leur part du gâteau. Free propose donc depuis le 25 août 2003 un service de téléphonie sur ADSL, disponible dans les grandes villes de France, c’est à dire dans les zones où Free a installé ses équipements haut débit. 9Télécom devrait proposer une offre similaire dès la rentrée…
C’est sur le prix que ces prestataires, qui vont faire voyager la voix de leur client sur Internet, peuvent construire leur argumentaire de vente. Les clients de Free n’ont qu’à brancher leur téléphone sur le boîtier « Freebox » fourni par la société.
Là encore, nous avons testé le service . Ici encore, le résultat est tout à fait bon : un son clair, un téléphone qui sonne quand on l’appel, que demander de plus ?
Des prix canons ! Justement, Free propose à ses abonnés d’appeler gratuitement les autres abonnés de Free, ainsi que les abonnés France Télécom, du moins jusqu’à la fin de l’année… Par la suite, les tarifs pour les appels en direction de l’opérateur historique s’élèveront à 1 centime d’euro la minute, les dix premières heures d’appel étant offertes. Particulièrement alléchants, les tarifs téléphonique de Free n’en sont pas moins sur la sellette : les appels pour un abonné France Télécom souhaitant joindre un client Freebox lui seront facturés au tarif local, sur décision, à titre transitoire, de l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART). Les FAI et l’opérateur français doivent parvenir à un accord sur le prix des communications avant le 1er juillet 2004…
On voit que, même en France, la course a commencé, que le marché de la voix va être redéfini, au moins en partie, par ce progrès technique qui permet un premier (et évident) niveau de convergence : un seul tuyau pour la voix et les données… On nous le promettait depuis des années… et bien, ça vient.