Lecture en « F », en « E », « banner blindness », l’eye tracking est une technologie qui a déjà beaucoup appris aux designers web. Concrètement, des capteurs placés au niveau de l’écran permettent d’identifier les zones sur lesquelles se posent le regard d’un panel d’utilisateurs, et celles qui lui échappent.
La technologie est connue depuis un moment déjà, et appliquée depuis longtemps dans les secteurs traditionnels du marketing. Packaging, publicités diverses, le hasard n’a plus sa place sur les emballages. De la même façon, la disposition des Adwords, du bouton d’inscription sur Spotify, la taille des zones de saisie sur Ciao Gmbh, etc. relèvent d’analyses rendues possibles par de longues séances d’oculométrie. Est-ce parce que ce mot, que nous employons pour décrire cette activité, nous renvoie à l’image d’un dispensaire du début du siècle ? Toujours est-il que la France (les agences web françaises pour être précis) accuse un certain retard dans l’utilisation de cette technologie.
Le recours à ces sessions de test dans des phases d’audit est entré dans les mœurs. Quelques rares sociétés tiennent le marché. Mais l’introduction de séances d’eye tracking en amont des projets, si elle est répandue dans la plupart des pays qui nous entourent, est une pratique qui reste rare dans le milieu des agences françaises. Quelques idées reçues résistent farouchement à l’envahisseur…
{{« L'{eye tracking est une technologie intervenant uniquement dans des phases d’audit »}}}
Chaque point peut en fait être traité indépendamment. A l’image de nombreuses sociétés étrangères, et d’un nombre croissant de sociétés françaises, les tests sont menés à différentes échelles suivant les cas de figure :
- en interne, avec « les moyens du bord » dans des phases de conception de site ; l’utilisation de l’eye tracking, qui vaut alors comme un label de qualité, permet d’argumenter les choix faits en terme d’ergonomie
- suivant les budgets alloués, le recours à un panel plus large peut être externalisé
- à défaut de compétences suffisantes, les résultats du test peuvent également être confiés à des consultants externes
{{« L'{eye tracking suppose d’avoir à disposition un large panel d’utilisateurs afin de mener une enquête concluante »}}}
Dans les faits, une dizaine de personnes suffisent à identifier 90 % des problèmes relatifs à un site web. Il faut de plus élargir sa conception d’une telle intervention et ne pas l’inscrire dans un cadre purement technique. L’entretien qui se doit d’être mené avec chaque personne « mise à l’épreuve » permet de moduler son jugement. Menée en interne, avec comme seul public à disposition des professionnels du web, les résultats peuvent être ré-équilibrés en prenant en compte les compétences de chacun.
{{« Investir dans l'{eye tracking suppose l’acquisition d’un équipement, la détention d’une base de donnée, d’où l’on extraira le panel adéquat à chaque test ainsi que les compétences nécessaires pour mener ces tests et procéder à l’analyse des résultats »}}}
Il faut dissocier :
- le matériel en lui-même
- la compétence requise pour mener les tests (penser à un scénario, définir des missions, etc.)
- « Faire la passation » (inviter les gens aux tests et mener un travail d’enquêteur)
- Tirer les conclusions du test (qui font appel là encore à des compétences bien précises, l’ergonomie en ce qui concerne les sites web, les sciences cognitives quand on touche à des domaines tels que le packaging, etc.)
L’investissement peut être divisé par le nombre de points cités. Telle ou telle phase peut, ou ne pas être jugée pertinente suivant le projet concerné. Le matériel peut être acquis pour les besoins propres à l’entreprise (tests en amont de la conception des sites web). Le recours à un large panel d’utilisateurs peut être lui externalisé.
Des axes de travail permettent déjà à un designer d’appréhender une maquette de façon objective. La déclinaison d’une identité de marque pour commencer, les contraintes de l’intégration, des principes généraux d’ergonomie et un respect strict de la hiérarchie des informations. L’eye tracking, complété par d’autres interventions telles que le mouse tracking, voire l’échange avec le public soumis aux tests, permet d’engager un dialogue avec l’utilisateur final.
La France fait aujourd’hui figure d’exception. Il est curieux de constater qu’elle est également isolée en ce qui concerne son approche du design. Elle continue de s’empêtrer dans des notions de cosmétique dès qu’il s’agit d’aborder la mise en forme. L’amalgame perdure entre graphistes et designers. L’ergonomie est un argument venant (parfois) encore au secours des chefs de projet une fois les maquettes réalisées, pour justifier un graphisme irréfléchi. L’absence de « science » dans « l’art », la non-prise en compte du ROI dans la réalisation d’une maquette (autant chez l’exécutant que chez le client final), tout cela est à mettre en parallèle avec les blocages vis-à-vis de technologies à même d’impliquer l’utilisateur dans la conception.
Il y a l’investissement bien sûr, le coût d’un tel équipement, mais il y a aussi cette tendance bien française à laisser le marketing à la porte de la création web. L’ergonomie et le graphisme, qui font le design d’un outil, décident moins du « style » du produit final que de sa facilité d’utilisation, et de l’optimisation de ses fonctionnalités. Intégrer dès les premières étapes de la conception la notion de comportement utilisateur permet de déjà rentrer dans une logique de profit. Une logique qui « parle » davantage aux différents acteurs que ne le fait la notion de style. Un aspect certes très rationnel, mais sur lequel il est plus facile de s’appuyer pour construire un projet.