Clever Age, en plus d’être sponsor, s’est déplacé massivement pour assister aux conférences et comme chaque année, les bénévoles de Paris Web se sont affairés pour nous proposer les meilleurs orateurs dans un environnement des plus agréable : le Beffroi de Montrouge.
En 2014, la barre a été placée très haut : non seulement les deux amphithéâtres étaient captés et diffusés en direct sur Internet mais, dans l’un d’entre eux, les conférences étaient transcrites, traduites en français et en langue des signes à la volée. L’équipe de montage a également réussi le pari fou de manipuler les flux en temps réel, tout en préparant des vidéos indépendantes, disponibles sur Internet moins d’une demi-journée après chaque conférence (salle Lucienne et André Blin, salle Moebius).
Bien que nos consultants présents n’aient pas suivi le même parcours durant ces deux journées, de grandes thématiques s’envolent de leurs notes : les standards sur web, le design et la vie des projets.
Des standards à l’applicatif, le périmètre du web s’élargit
La période que nous vivons est charnière. De grands standards ont émergé récemment (HTML5, CSS3…) et nous commençons à les utiliser à leur plein potentiel. D’autres arrivent, et nous nous interrogeons sur leur fonctionnement. Nous sommes, pour une des premières fois depuis le début de l’histoire du web, dans une phase d’apprentissage des possibles, la standardisation ayant rattrapé l’implémentation.
Prenons l’exemple des masques CSS présentés par Vincent de Oliveira dans « Les masques CSS : vers de nouveaux usages dans le web design ». À partir d’un standard bien défini, l’implémentation laisse émerger plusieurs tactiques. La méthode du clipping offre des formes nettes, tandis que la méthode du masking offre des masques plus doux, voire flous, qui s’apparentent par bien des aspects aux masques de fusion de Photoshop. Le support des masques CSS commence à être intéressant mais il faut avoir la main légère, car les performances sont assez mauvaises. En effet, les implémentations par les navigateurs sont aujourd’hui incomplètes.
Même constat pour la conférence de Bruce Lawson et Karl Groves : « Web components, la marche à suivre » : les web components peuvent apporter de grandes choses, notamment en offrant des alternatives accessibles à de nombreux composants riches. Mais ils ne sont pas encore prêts pour la production car le standard n’est pas encore supporté partout, ou présente des zones d’ombre (performances, gestion des dépendances, organisation des projets). Autre risque : qu’un acteur unique s’accapare la réflexion, comme essaie de le faire Google au travers de son projet Polymer.
Il est pourtant important que l’évolution du standard se fasse par l’ensemble de la communauté : Google bien sûr, mais également Mozilla (avec ses projets x-tag et brick) ou toute autre personne qui souhaiterait se lancer (par exemple WebComponents.org). C’est le cas de Raphaël Rougeron dont on retiendra cette citation, durant son informelle sur les web components en compagnie de Cyril Balit :
C’est en jouant avec Bosonic que je me suis rendu compte des limites, et c’est important que d’autres fassent la même chose. Il faut que nous trouvions les limites pour savoir comment améliorer l’implémentation.
Et les web components ne sont pas les seuls à être améliorables. Plus proche de nous, l’e-mail en est encore à ses balbutiements en terme d’intégration, notamment dans les webmails. Démonstration dans la très drôle conférence de Rémi Parmentier, « Sortons l’intégration d’e-mails de la préhistoire » : entre Outlook qui utilise depuis la version 2007 le moteur de rendu de Word (hum…) et les webmails français qui utilisent un moteur de rendu au pré-fixage très… particulier (ou qui retouchent les images qui leur sont envoyées), cela devient très difficile de s’en sortir. Malheureusement, ceux qui devraient être les principaux acteurs du changement, les professionnels du webmail, sont aux abonnés absents des rendez-vous du W3C depuis plusieurs années. Un bien triste constat qui nous rappelle que nos projets sont très souvent tributaires d’acteurs très puissants qui ne jouent pas toujours le jeu.
Pourtant les enjeux sont de première importance car le web est en pleine mutation de ses usages, comme l’expliquait notre collègue Jérémie Patonnier dans sa conférence « Logiciellisation du web ». Les technologies web, JavaScript en tête, permettent aujourd’hui de créer de vraies applications sur le web, bien sûr, mais également natives sur les différents systèmes d’exploitation (Windows 8, Ubuntu HTML5 App, Silk), voire même de créer les systèmes eux-mêmes (Firefox OS, Chrome OS).
Malgré la puissance de JavaScript, Web GL et bientôt d’ASM.JS (une sous-spécification de JavaScript orientée vers la performance d’exécution), le web reste lent car les APIs utilisées par JavaScript sont encore à la traîne. À commencer par l’API DOM, celle qu’on utilise le plus souvent dans nos sites… Pour autant, ces évolutions de performance sont le moteur de révolutions architecturales : de la même manière que l’ordinateur de bureau est passé d’une culture du mainframe à celle de l’ordinateur personnel, les sites et applications web deviennent de plus en plus indépendants : bases de données embarquées, mode offline… À terme, il n’est pas absurde d’imaginer que les sites tireront leurs informations de sources multiples : places de marché, places de services… À condition que ces évolutions techniques soient accompagnées d’évolution et terme de design, pour guider les utilisateurs.
Le design, à l’écoute des utilisateurs
Et c’est bien de design dont nous avons également beaucoup parlé durant ce Paris Web. design des interfaces, expérience utilisateur… C’est Olivia Lor qui nous a interpellé la première avec sa conférence « Interactions : animations et interface ». Elle y abordait le questionnement inhérent à toute création d’interface : sur quoi souhaite-t-on attirer le regard de l’utilisateur ? Doit-il interagir ? Comment lui faire passer une information sur la prise en compte de son action ? Et surtout : comment tester tout cela par des développements, mais également par des tests en conditions (presque) réelles ? Une intervention riche qui nous rappelle que le souci est souvent dans les détails.
Des détails qui cachent parfois, comme le dit le dicton, le Diable. Clément Hardoüin, dans sa conférence « Dark patterns, la contre-attaque du pire », met en avant, avec divers exemples, tous plus vicieux les uns que les autres, les procédés visant à tromper l’utilisateur afin de le pousser à faire quelque chose qu’il ne veut pas ou qu’il n’a pas conscience de faire. Ces dark patterns permettent de rentabiliser un site web, soit en augmentant les prix au fur et à mesure du parcours client, soit en ajoutant des produits non sollicités au panier de l’utilisateur (c’est souvent le cas de garanties ou de « produits complémentaires » lorsqu’on ajoute un produit électronique sur les sites e-commerce). Évidemment, cette rentabilisation basée sur la tromperie ne saurait durer, les utilisateurs étant sensibles à l’éthique. Cela peut même profondément nuire à l’image de marque des plates-formes. À nous, professionnels du web, d’informer, d’alerter, de nous prémunir de la mise en place de ces patterns sur les produits que nous concevons. À nous également d’inventer de nouvelles façons d’interagir avec nos utilisateurs, d’éduquer nos personnels et d’accompagner nos clients vers un design applicatif plus respectueux.
Et une des façons d’y parvenir est de n’oublier aucune composante de l’expérience utilisateur. Et dans un média qui fait la part belle au texte, il est important de soigner sa typographie. Une fois de plus, Marko Dugonji ? nous a proposé une conférence passionnante sur la « Responsive web Typography ». Cette fois-ci, l’orateur nous a présenté plein d’idées pour améliorer les textes de nos interfaces, en particulier dans un contexte responsive : interlettrage, graded fonts, graisses… Saviez-vous par exemple que Georgia et Verdana, polices de caractères bien connues sur le web, possèdent une version condensed qui peut faciliter la lecture sur écran mobile ? Ou que sur un écran à haute densité de pixels (type retina), il peut être intéressant d’utiliser des polices un peu plus grasses ? Comme toujours, rien ne vaut quelques tests utilisateurs. Dix minutes suffisent : demander à la personne à côté de vous de lire l’interface que vous êtes en train d’intégrer. Si elle trébuche entre les mots, si elle plisse les yeux, si elle a besoin d’un certain temps pour lire une phrase, c’est qu’il y a sans doute un problème à identifier et à résoudre.
Mais pour cela, l’ensemble des acteurs doit pouvoir échanger, pour (se) comprendre. Une vaste problématique qui était également le sujet d’une conférence informelle animée par Julien Dubedout : « Comment communiquer avec ces #@$* de designers ». Designers, intégrateurs et développeurs, nous poursuivons tous le même objectif : produire des interfaces de qualité pour les utilisateurs. Il faut donc pouvoir dialoguer pour que ce travail d’équipe s’organise au mieux. Cette communication passe en premier lieu par le fait de s’intéresser au métier de l’autre et par un dialogue constant. Si, parfois, les échanges entre créatifs et techniciens sont difficiles, c’est peut-être parce qu’il nous manque un vocabulaire commun. On campe sur nos positions, on défend notre territoire au lieu de défendre la cause finale : servir l’utilisateur. En agences, ces situations de communication difficile sont très certainement dues à l’organisation du travail en silos, pas assez itérative. On a appris à communiquer à certains moments-clés, mais pas de façon continue. Inclure les différents leads d’un bout à l’autre du projet est sans doute une piste à creuser pour améliorer nos processus de gestion.
Des bonnes pratiques au service de nos clients
Enfin, c’est de gestion de projet dont il a été question, une fois passées les questions de savoir-faire et de communication. Le premier rappel fort a été lancé par Elie Sloïm et Nicolas Hoffmann dans leur conférence d’ouverture « Qualité web : l’heure de passer à la caisse » : ne rien faire pour améliorer la qualité de son projet, c’est s’assurer d’un échec cuisant. Il est crucial que la qualité soit au cœur de nos processus car nos savoir-faire s’industrialisent, se complexifient et se diversifient : sans contrôle, c’est l’assurance d’aller dans le mur. Reste la difficulté, pour certaines agences, de vendre cette qualité. Faut-il ajouter une ligne spécifique dans les chiffrages, en faire une valeur fondamentale ? Finalement, peu importe, notre rôle est surtout d’être pédagogues et honnêtes envers nos clients : nous ne sommes pas de simples exécutants, nous sommes des accompagnateurs dans la réussite d’un projet qui est le leur. Défendre la qualité, c’est leur assurer que ce projet ira à son terme et vivra au delà de notre intervention.
Comment s’exprime la qualité au sein d’un projet ? Est-ce une liste de critères à valider ? Cela peut l’être en partie, mais pas uniquement. Il s’agit avant tout d’une démarche, qui peut commencer par des choses toutes bêtes. Vanessa Ilmany est venue expliquer, par exemple, « Comment tirer le meilleur parti de ses erreurs ». Elle a témoigné très humainement des erreurs qu’elles faisaient régulièrement, et de comment, en systématisant leur identification et le questionnement nécessaire à leur résolution, elle a limité leur reproduction.
Nous avons également retrouvé cette culture de l’amélioration continue du savoir-faire dans la conférence « Things I wish I knew when I started in Digital Accessibility » de Billy Gregory, qui venait partager avec le public présent à Montrouge le résultat de plusieurs années passées au service de l’accessibilité web. Contrairement à de nombreuses conférences sur l’accessibilité, dont on ressort souvent démoralisé, celle de Billy Gregory prenait le problème du bon côté, en nous donnant quelques astuces pour évangéliser facilement sur l’accessibilité au quotidien. Et comme pour la qualité (dont l’accessibilité est une facette), ce ne sont pas les designers ni les développeurs qu’il faut convaincre de la nécessité de rendre un site ou une application web accessible, mais bien le client, car c’est lui qui va devoir régler la facture. Nous devons donc évoquer le sujet dès le premier jour, et l’éduquer.
On peut par exemple commencer par quelques petits projets, faciles à mettre en œuvre, comme un datepicker entièrement accessible, puis démontrer à notre client la facilité d’utilisation du widget au clavier, et l’impact minimal que cela a eu sur les charges et sur le planning. Parallèlement, il faut quand même continuer à sensibiliser nos collègues à l’accessibilité du web. Quelques idées : organiser des déjeuners techniques, où chacun vient avec toutes les questions qu’il s’est toujours posé sur l’accessibilité, et y répondre. Proposer aussi d’y répondre par e-mail à tout moment.
L’essentiel est de toujours garder l’accessibilité dans la conversation, que ça soit un sujet comme un autre, présent au quotidien. L’erreur consisterait à faire reposer les objectifs en matière d’accessibilité web sur les épaules des seuls intégrateurs et développeurs : il faut que la démarche soit globale et concerne tous les acteurs du projet. Et cela peut permettre de définir des bonnes pratiques de gestion de projet, comme celle d’inclure une personne en situation de handicap parmi les personas, dès la phase de conception.
Jérémie Patonnier (encore lui), est également venu parler de bonnes pratiques de gestion de projets dans sa conférence « Mes Projets web se passent toujours bien ». À commencer par l’identification des zones d’ombre, des zones de frustration, des processus de documentation :
Il n’y a pas de spécs ? OK, pas de problème, c’est pas grave. S’il n’y a pas spécs, et bien on les écrit, c’est tout […] « Voilà ce qu’on m’a demandé, voilà ce que je vais faire, voilà le résultat attendu ». Ça tient en trois phrases, s’il faut.
Bien sûr, pour qu’un projet se passe bien, il faut également infuser une culture du savoir, de la réutilisation des briques fonctionnelles et surtout, des tests.
Des savoir-faire, des projets… au service d’une vision plus large
L’intérêt d’un événement comme Paris Web, c’est d’avoir un retour d’expérience ancré dans le temps, dans la difficulté et l’évolution. Évolution des standards, design, gestion de projets, autant de sujets abordés avec brio par Jean-Loup Yu, dans sa conférence « Mutation d’un géant du web vers le Mobile ». On y trouvait un retour très honnête sur l’impact des acquisitions stratégiques de Meetic sur sa stratégie numérique et sa longue reconquête de sa dette technique au fil des années, alternant les cibles web et mobiles. Jean-Loup nous a également donné un aperçu de l’organisation nécessaire à l’accomplissement d’objectifs de cette ampleur : investissements importants dans la découverte et la rétention des compétences, agilité des équipes, organisation de l’intégration continue…
Des retours riches comme on espère en voir encore l’année prochaine.