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Logiciels Libres : au delà des bonnes intentions

Cet article est extrait du n°8 de l’Elenbi Strategic Review, revue de l’EBG.

L’utilisation du logiciel libre se généralise. Après des premiers succès dans le domaine des infrastructures, les couches applicatives sont maintenant « contaminées » par cette tendance. Face à cette dynamique, il est impératif d’identifier les bons filons et éviter les mauvaises pistes. L’évaluation de la communauté autour du projet libre envisagé est une des clés. Cette approche illustre bien la nécessité pour les entreprises et administrations d’adopter de nouveaux réflexes qui permettront d’apprivoiser cette évolution différente mais inéluctable.

Depuis {quelques } années, la question de l’utilisation des logiciels libres fait l’objet de multiples discussions, souvent très théoriques. Si certains continuent à redouter des « effets négatifs en 3 bandes », la majorité a choisi d’adopter le logiciel libre. Cette progression sur le terrain n’a besoin que de quelques chiffres pour nous en convaincre :
– 170 gouvernements ont une politique volontariste [OSS|Open Source Software],
– 80 % des entreprise du CAC 40 utilisent des logiciels Open Source,
– La quasi-totalité des éditeurs et constructeurs (IBM, Sun, Novell, SAP, Compaq, HP …) contribuent réellement à des projets OSS.

Pour la plupart des entreprises, administrations et éditeurs de logiciels, la question n’est plus de savoir si l’on se lance mais plutôt jusqu’où ?

Du système d’exploitation à l’applicatif

Historiquement, le logiciel libre a connu ses premiers succès sur les couches d’infrastructure : système d’exploitation – Linux, FreeBSD – services réseaux – Samba, Bind, OpenLDAP …et les infrastructures Web – Apache, PHP, Tomcat … Pour la plupart de ces composants, le logiciel libre revendique plus de 20 % de « parts de marché » dans le monde avec quelques best-sellers tels qu’Apache qui dépassent les 70 % sur le marché des serveurs Web. Sur ces couches, le logiciel libre fait pleinement parti du paysage. Il est une des alternatives à analyser au même titre que les offres propriétaires afin de faire des choix pour son SI.

Mais aujourd’hui les progrès les plus notables se font dans les couches hautes. Les succès OSS se propagent maintenant à l’utilisateur final. On dénombre en effet plus de 70 000 projets dans SourceForge.net (un des plus importants référentiels de projets Open Source) avec des cibles de plus en plus applicatives.

La première est la population des développeurs. Ces derniers ont aujourd’hui accès à un outillage professionnel avec par exemple l’environnement de développement Eclipse, le gestionnaire de sources CVS|Concurrent Versions System], l’outil de remontée d’anomalies [Mantis …Il faut bien comprendre que ces outils et méthodes ont été mis au point pour produire des projets OSS. Quand on sait que 58% des développeurs OSS sont des professionnels IT avec une expérience moyenne de 11 ans, il est légitime d’apporter un crédit à ces travaux. Et, force est de constater que ces outils ont permis de livrer des applications de qualité malgré un contexte projet défavorable à priori (pas de rémunération des développeurs, distance géographique des contributeurs …). Ceci devrait finir de nous convaincre sur de cet outillage pour nos propres projets.

Une deuxième population proche des développeurs doit elle aussi se pencher sur cette dynamique : les architectes applicatifs. Le libre leur fournit de nombreux framework éprouvés (ou cadre de travail) permettant d’accélérer les développements et de garantir la maintenance des applications: Java Struts, PHP PEAR, Single Sign On CAS… Par ailleurs, la disponibilité exponentielle de compétences sur ces framework est une autre vertu de ces choix. Construire ses applications sur des framework OSS est indubitablement un gage de pérennité.

Les utilisateurs finaux ne sont pas oubliés avec des outils de productivité personnels tels que OpenOffice.org, Mozilla, … Néanmoins, l’intérêt de l’OSS dans ce domaine est moins évident. Les freins sont notamment plus forts de part le poids de l’existant. Des domaines plus porteur sont à approfondir pour ces utilisateurs. Ils concernent les applicatifs Web transverses tels que la gestion de contenu Web, les portails d’intégration et les outils de collaboration. On trouve en effet de très nombreuses solutions apportant une alternative aux offres éditeurs . Par exemple, dans le domaine de la gestion de contenu Web : Spip, [Spip-Agora->http://www.agora.gouv.fr], EZPublish … sont utilisés par plusieurs dizaines de milliers de sites parmi lesquels celui du Premier Ministre|site officiel du premier ministre, de l’ANPE, de l’EDF … Enfin, concernant les utilisateurs finaux, il existe quelques initiatives de solutions métier : Compierre ([ERP|Entreprise Resources Planning]), eCRM … Mais leur diffusion et leur couverture fonctionnelle reste encore limitée.

L’importance de l’écosystème autour d’un projet libre

Comme on vient de le voir, le périmètre de l’OSS s’étend. Rapidement, on constate que la principale difficulté de l’OSS est la multiplicité des solutions face à un besoin donné. Cette difficulté est renforcée par l’émergence de nombreux projets OSS « Canada Dry ». De très nombreuses sociétés peu scrupuleuses n’hésitent pas à proposer du vrai-faux OSS.

Pour bien comprendre, revenons sur l’apport d’un vrai projet OSS pour un client. La faculté de disposer des sources ne lui apporte que très rarement un intérêt direct. En revanche, l’existence d’une communauté structurée a de la valeur.

Cette communauté doit être constituée de divers prestataires qui auront construit une offre de services autour du projet (installation, support, intégration …). Plus le nombre de prestataires sera important, plus le client sera indépendant de son prestataire d’origine. Le client recherchera également des contributeurs qui apporteront une valeur ajoutée métier au projet. Pour les projets bien structurés, il est d’ailleurs frappant de voir que la quasi-totalité des besoins « utiles » sont couverts et que les fonctionnalités superflues (celle qui font vendre en démo …) sont absentes. Les utilisateurs peuvent alors se concentrer sur ce qui marche fonctionnellement. Enfin, le client s’assurera que la communauté comprend de nombreux utilisateurs qui sont autant de testeurs et de producteurs de documentations potentiels. En résumé, un projet dont on vous fournit les sources mais qui ne dispose d’aucune communauté est à proscrire absolument.

L’impact pour les éditeurs

Tout comme l’approche propriétaire, l’approche OSS nécessite de respecter des règles de fonctionnement pour en tirer profit. Certaines organisations sont adaptées à ce changement de fonctionnement d’autres pas. Mais toutes en ressentiront les effets positifs. En effet, les éditeurs propriétaires doivent réagir à cette vague et seuls les meilleurs survivront. Si un éditeur veut survivre, il doit faire au moins aussi bien que l’Open Source soit en innovant technologiquement (Office 2003 serait-il aussi complet et ouvert que cela si Microsoft ne sentait la pression des suites bureautiques OSS) soit en intégrant des fonctionnalités de plus en plus riches. Plus déstabilisant encore pour les éditeurs, l’Open Source devient une arme concurrentielle. Les éditeurs ayant compris la nouvelle donne vont de plus en plus utiliser l’Open Source contre leur concurrent. Prenez SAP qui progresse sur son cœur de métier, l’ERP. L’éditeur allemand n’hésite pas à donner SAP DB à la communauté MySQL afin de renforcer les chances de cette base de données de devenir une alternative très sérieuse à Oracle … son concurrent ERP le plus menaçant. Quant à IBM, l’éditeur soutient Eclipse afin de damer le pion à ses concurrents directs sur le marché Java, BEA et Sun …

Une courbe d’adoption « inhabituelle »

En définitive, on constate une courbe d’adoption très différente entre le logiciel libre et les technologies apparues jusqu’à présent. Le principe « normalement » systématique s’expose de la manière suivante (courbe verte) : une nouvelle technique ou un nouveau concept a toujours besoin de deux tentatives pour s’imposer, une première pour prendre position dans les esprits et une seconde pour se débarrasser de ses défauts de jeunesse (et au moment de la seconde tentative, le marché est prêt à la recevoir grâce à « l’éducation marketing » reçue précédemment…). Pour s’imposer définitivement, la nouvelle technique doit revoir ses ambitions à la baisse quitte a décevoir ses « early-adopters ».

Le logiciel libre fait totalement exception à cette règle. Une solution logiciel libre est d’abord perçue avec circonspection (« trop beau pour être vrai »). Puis au fil de sa mise en œuvre, les attentes augmentent rapidement pour atteindre un plateau de productivité. Ce point illustre une des caractéristiques majeures à comprendre si l’on veut tirer profit de cette tendance : une approche OSS n’est pas meilleure ni moins bonne qu’une approche éditeur, elle est par nature différente. Les réflexes habituels doivent être réappris pour ne pas tomber dans ses pièges.

Un commentaire

  1. Jean-Marie Gouarné

    Bonjour,

    Je viens seulement de tomber, à retardement, sur cette synthèse très intéressante.

    Vous insistez à la fin sur le profil inhabituel de la courbe d’adoption du logiciel libre. Mais peut-on vraiment parler d’une exception ?

    Cette fameuse courbe d’adoption s’applique aux nouvelles technologies en général (ou plutôt à celles qui réussissent). Si elle ne semble pas fonctionner de la même manière avec le logiciel libre, c’est tout simplement parce que le logiciel libre n’est pas une nouvelle technologie. Quand on compare Linux à un Unix propriétaire, ou OpenOffice.org à Microsoft Office, il est évident que les différences fondamentales ne sont pas d’ordre technologique. Le logiciel libre ne se distingue des offres propriétaires que par ses modes de production et de distribution du code ainsi que des régimes de propriété intellectuelle applicables. Ce n’est donc pas une technologie, c’est un modèle économique; et ce modèle, en outre, est au moins aussi ancien que celui des éditeurs commerciaux, les innovations récentes étant surtout son rythme d’expansion accéléré, son hyper-médiatisation (contrastant avec de longues années de quasi-boycott journalistique) et les débats à forte coloration politique dont il fait l’objet.

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